Dépasser la psychiatrisation

Entretien avec réalisé le à Paris (France) et publié le .
J'étais enfermée entre quatre murs. Attachée, parfois. Et, pour la sonde naso-gastrique, ils ont pas demandé mon avis. Ils ont débarqué à cinq dans la chambre et l'ont enfoncée de force.

Quand je suis sortie de cette année de psychiatrisation, où j'ai quand même été… C'est très différent de ce qui se passe en service spécialisé, où c'est déjà dur, parce qu'il y a une coupure. On pratique encore très souvent l'isolement, une coupure avec la famille. C'est déjà difficile de remplir certaines conditions pour gagner des points et un peu plus de souplesse dans la prise en charge.

Moi, j'ai connu quelque chose… J'étais même pas livrée à moi-même, mais enfermée entre quatre murs, attachée parfois, nourrie par sonde naso-gastrique. Ils m'ont pas demandé mon avis. Ils ont débarqué à cinq dans la chambre et attachée au lit, ils me l'ont enfoncée de force dans le nez. C'est quand même des scènes de violence.

C'était très long. Et encore, une fois que j'avais atteint le poids attendu pour la sortie… J'ai repris le double de mon poids. Je suis descendue très très bas. Ils voulaient attendre le retour de mes règles pour que je sorte. C'était un signe de guérison. Ils auraient pu attendre longtemps.

Je suis sortie de là. Oui, ça a été long. Peut-être que l'erreur que j'ai fait, c'est de pas accepter les soins proposés. Mais, quand vous sortez de là, vous êtes légèrement fâché contre tout ce qui s'apparente au domaine médical, aux blouses blanches.

On m'a proposé un suivi en CMP. C'était hors de question de revoir ces personnes. Donc j'ai erré, j'ai erré. J'aime pas trop parler du poids. On a un peu des règles dans les groupes de pair-aidants, on parle pas trop du poids. Mais je suis sortie à 48 kilos pour 1m63. Un an après, j'en repesais 35. Pour dire que cette hospitalisation n'a pas servi à grand chose.

Dès le lendemain, je repartais dans mes délires. J'étais encore très malade. Mais surtout très fâchée et blessée. J'ai du tout réapprendre par moi-même. Refaire confiance. J'avais plus confiance envers les gens. C'est vrai que, là-bas, j'ai connu des humiliations, de la violence. Aucune considération. On est traité comme une chose. Une chose à engraisser.

Les anorexiques souffrent de plusieurs… pas des idées reçues, mais on les traite souvent de personnes manipulatrices. Mais alors, là-bas, j'étais traitée comme une pestiférée. J'avais l'impression qu'ils me soignaient parce qu'ils le devaient. Si on peut appeler ça du soin.

Je trainais encore des troubles alimentaires. J'en suis sorti vers 30 ans. Au moment où j'ai lancé mon association, j'avais fait un beau chemin déjà, j'avais déjà fait une thérapie et je suis toujours en analyse. J'étais quand même pas mal rétablie. C'est-à-dire que tout était réglé.

Mais, je reviens sur ce que j'ai dit, c'est que guérir des symptômes des troubles alimentaires, c'était pas le plus compliqué. Par contre, tout le travail fait en thérapie et les larmes que j'ai pu y lâcher quand j'ai évoqué l'hospitalisation – et j'ai pu dégueuler ma haine.

Hier, j'étais à une réunion à Sainte-Anne, un débat sur la ré-humanisation du soin en psychiatrie avec des amis pairs aidants. Et il y a eu le témoignage d'une jeune femme passée par une hospitalisation marquante. Je sentais encore toute sa colère, énorme. C'était très dur comme témoignage.

C'est venu me rappeler certaines choses, surtout cette colère, que j'ai tellement ressentie. Je sais ce qu'elle ressent encore aujourd'hui. Ça m'a permis de voir le chemin que j'ai fait par rapport à ça. Aujourd'hui, j'ai pu pas mal m'appaiser. Je suis capable d'en parler sans avoir des frissons.

Mais je me rappelle de certains détails, et pourtant ça remonte à 2006 – ça remonte quand même à quelques années. Je me rappelle de certains détails avec une précision. Je peux vous parler des craquelures au plafond de ma chambre ou des barreaux à la fenêtre.

Sabrina Palumbo. Coach en accompagnement des troubles de conduites alimentaires (TCA), auteure des livres L’âme en éveil, le corps en sursis et Troubles alimentaires. Mieux comprendre pour mieux guérir et fondatrice d'une association de soutien aux anorexiques-boulimiques et à leurs familles. Troubles alimentaires. Mieux comprendre pour mieux guérir, par Sabrina Palumbo L’âme en éveil, le corps en sursis, par Sabrina Palumbo Site web Corps et âme en éveil, par Sabrina Palumbo